Souvenons-nous : dès la sortie de la première vague de la crise sanitaire, nous étions nombreux à plaider pour qu’il y ait un « après Covid » qui ne soit pas un « retour à l’anormal ».

Qu’entendions-nous ? Il s’agissait de veiller à éviter de nouvelles vagues, de s’y préparer le cas échéant, mais surtout de redéfinir des politiques garantissant que la santé et le bien-être de la population ne soient plus soumis à des impératifs économiques à courte vue, mettant à mal le cœur de la mission de services à la population.

En tant que personnel, services et bénéficiaires des secteurs du Non Marchand, nous étions témoins des failles et des insuffisances des politiques fonctionnelles, de leurs conséquences mises en lumière et exacerbées par la crise.

Lors de cette crise sanitaire inédite, la primauté de l’économique fut ébranlée. Après avoir tenté de maintenir l’activité « productive », il a bien fallu se résoudre à prioriser la santé de la population. La crise a donc sorti les secteurs Non Marchand de l’obscurité totale, éclairant enfin le caractère indispensable des services à la population, jusqu’alors jugés comme non prioritaires et accessoires par rapport aux acteurs économiques.

Cela ne durera qu’un instant, le temps des applaudissements, voire de certaines politiques d’investissement. Depuis, le « retour à l’anormal » semble bien s’inscrire en lettres d’or dans les agendas politiques, particulièrement depuis les dernières élections législatives.

Oui, les vulgates néolibérales contaminent les gouvernements successifs, à tous les niveaux de pouvoir, depuis de nombreuses années ; elles s’inscrivent dans le cadre des exigences de l’Europe, des trajectoires budgétaires imposés aux Etats.

Mais les visions sociétales incarnées par les accords récents de gouvernement, ainsi que ceux qui semblent se négocier actuellement, vont accélérer les processus de dé-financement engagés depuis plusieurs décennies. Les économies dans les dépenses qui y sont préconisées sont inédites par leur ampleur. Même si ces Gouvernements prétendent “qu’il ne s’agit nullement de mettre en œuvre une quelconque politique d’austérité », l’approche qui se dessine va pourtant beaucoup plus loin dans l’austérité que ce que nous demande, déjà de manière très exigeante, l’Union européenne. C’est du côté des dépenses que porteront la majorité des efforts budgétaires. Les gouvernements excluent donc d’aller chercher de nouvelles recettes pour équilibrer leurs budgets. C’est une erreur majeure. Ici, cela va encore plus loin, on veut réduire les impôts, pas seulement ne pas les augmenter. Réduire les impôts tout en étant contraint par l’Europe à un effort budgétaire de 25 milliards (pour la Belgique) dans les 4 prochaines années, c’est nécessairement indiquer qu’on va couper à blanc dans les dépenses. On s’oriente donc vers un traitement de choc anti-dépenses publiques.

Ce qui menace l’avenir, ce n’est pas le déficit budgétaire, c’est le refus d’investir suffisamment dans la santé, l’éducation, la préservation de l’environnement et l’adaptation au changement climatique. Ce sont les plus fragiles qui vont en payer le prix.

Les décisions qui seront prises et qui concernent tous nos services collectifs, façonneront ainsi notre société pour les années à venir et marqueront durablement le plus d’un demi-million de personnes travaillant dans le secteur non marchand ainsi que les millions d’usagers et de bénéficiaires. Celles et ceux qui exercent les métiers du soin, du care, du lien (car ils n’auront plus les moyens humains et matériels de réaliser leur missions, de rendre les services attendus à la population) ainsi que les citoyens. La population, quelle que soit son origine socio-économique, attend légitiment lorsqu’elle y fait appel, lorsqu’elle en a le besoin, un service de qualité respectant les normes de sécurité et d’éthique. Si la force publique n’y répond pas/plus, c’est la cohésion de la société toute entière qui est mise en péril.

Car les services collectifs sont l’épine dorsale de notre société. Ils garantissent que chacun, quel que soit son milieu ou son revenu, accède aux soins de qualité dont il a besoin, à l’aide et l’accompagnement sociaux que sa situation personnelle nécessite, à la culture, à l’éducation et à d’autres besoins fondamentaux. Ces services nous relient, nous protègent et nous aident à grandir. Ce sont des services dont nous avons tous besoin tout au long de notre vie.

Le secteur Non Marchand crée de la richesse non seulement par les salaires mais également par les valeurs qu’il véhicule telles que la cohésion sociale, la solidarité, la démocratie. Il est donc un élément fondamental d’une société inclusive. Il doit garantir à toutes et tous un bien-être suffisant et permettre à chacun-e de s’émanciper, en faisant face aux aléas de la vie et en étant accompagné∙es dans ses choix de vie privée ou professionnelle. De plus, il doit développer un accès plus égalitaire à l’enseignement, la culture, l’autonomie et la citoyenneté active.

Dans beaucoup de ces secteurs, la pression sur le personnel est élevée depuis de nombreuses années - trop élevée ! Les causes sont connues : le vieillissement de la population bien sûr, mais aussi du personnel ; les besoins qui évoluent et auxquels les investissements ne répondent pas suffisamment. Le risque de perdre des travailleurs qualifiés et expérimentés est bien réel partout... Les jeunes travailleurs ne se projettent plus dans des métiers qui, s’ils ne manquent pas d’attrait et de plus-value sociétale, ne proposent plus des conditions de salaire et de travail suffisamment attractives. Il est bien loin le temps où seule la vocation suffisait pour s’engager et faire carrière dans les métiers du Non Marchand.

Pour continuer à fournir des soins et de l’aide de qualité, le personnel a besoin… de plus de personnel !

Aujourd’hui, les attentes et les besoins sont décuplés. Le personnel du Non Marchand et du secteur public, ainsi que leurs publics (les usagers et les bénéficiaires) attendaient beaucoup de l’après-covid. Les difficultés de recrutement généralisées et l’impact sur les conditions de travail rendent les métiers intenables à court terme et impactent négativement la qualité du service rendu à la population.

Il est urgent de redéfinir des politiques garantissant que la santé et le bien-être de la population ne soient plus soumis à des impératifs économiques à courte vue, mettant à mal le cœur de la mission de services à la population.

Il est temps pour le Non Marchand !

La Ligue est co-signataire de cette carte blanche.